Le grand séminaire de Grenoble

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vendredi 26 février 2016

Dans un numéro hors série des Cahiers du CTM daté de 1998 et intitulé Du Séminaire au Centre Théologique, Albert REY décrit méticuleusement 300 ans d’histoire. Le lecteur intéressé devra s’y reporter. Retenons seulement quelques faits remarquables.

L’Ancien Régime

Un décret conciliaire (1563) du Concile de Trente invite chaque évêque à créer un séminaire dans son diocèse. Après diverses querelles de clocher, le séminaire de Grenoble voit réellement le jour un siècle plus tard sous l’impulsion d’un jeune et énergique évêque, le futur cardinal Etienne Le Camus. Bouleversé par la médiocrité de son clergé, il crée un établissement chargé tant de la formation initiale des jeunes se destinant aux ordres sacrés que de la formation continue du clergé en place. S’il en confie la responsabilité aux Oratoriens, il suit de très près ce qui s’y passe. Il fait rédiger un manuel de théologie en français (huit volumes) par François Genet qu’il soumet à des théologiens compétents. Il interroge lui-même les séminaristes une fois par mois tant sur place que pendant leur stage en paroisse [Les mots en italiques sont traduits dans notre langage actuel pour mettre en évidence la modernité de ce pasteur].

Seul le tome 6 du manuel de François Genet se trouve à la Bibliothèque Culture et Religion, mais on peut y trouver d’autres ouvrages de l’époque comme ceux de Bernard Lamy sur les quatre évangiles, écrits également à l’initiative d’Etienne Le Camus.

Les Dauphinois tirent une certaine fierté d’avoir anticipé la Révolution (journée des tuiles 7 juin 1788), mais le bas clergé du diocèse avait commencé la contestation une dizaine d’années plus tôt… D’ailleurs, certains de ses membres, sans doute plus en ville qu’à la campagne, faisant preuve de syncrétisme, étaient francs-maçons. Le suicide le l’évêque en 1788, l’absence de son remplaçant (retenu à Paris) puis son émigration, la nomination d’un évêque constitutionnel (Henri Reymond) qui fut lui-même emprisonné, deux prêtres guillotinés sur la place Grenette, etc., s’ajoutant à la confiscation des biens de l’Eglise, laissent supposer le trouble qui a dû envahir la communauté chrétienne de Grenoble à l’époque.

Le séminaire, disparu dans la tourmente, va renaître à la suite du concordat de 1801 entre le pape Pie VII et le Premier Consul. L’Etat laïc nomme les évêques, qui nomment les curés (mais avec l’assentiment du gouvernement) ; les uns et les autres font serment de fidélité au gouvernement et, payés par lui, sont pratiquement des fonctionnaires.

Du Concordat à la Grande Guerre

En 1806, le séminaire s’installe pour 100 ans (jusqu’à l’expulsion de 1906) dans les locaux rénovés de l’ancien couvent des Minimes à la rue du Vieux Temple avec un encadrement de prêtres diocésains. Le nombre d’étudiants en théologie va rapidement dépasser la centaine avec un maximum de 150 en 1875. Le diocèse, comme la France, connaît un renouveau religieux très accentué entre 1825 et 1875 avec la création de très nombreuses communautés religieuses, mais aussi d’œuvres regroupant des laïcs, hommes et femmes, pour des activités de bienfaisance, de piété, de formation chrétienne, etc.

Pour ce qui nous intéresse plus directement, cette époque voit l’explosion de la presse (invention des rotatives) et de l’édition religieuse. La Bibliothèque Culture et Religion compte dans ses rayons des centaines d’ouvrages édités et imprimés par l’abbé Jacques Paul Migne dans le cadre de la Bibliothèque universelle du clergé et des laïques instruits ou Cours complet sur chaque branche de la science ecclésiastique et humaine. Ils sont à l’origine du renouveau des études patristiques.

Il y aurait mille autres choses à dire au sujet du XIX° siècle, sur l’émergence des problèmes sociaux (Prosper Enfantin, Frédéric Ozanam, Victor Schoelcher, Karl Marx, etc.), sur le remodelage de l’Europe, sur l’enseignement en France, sur le long règne de Pie IX (Syllabus, pouvoir temporel, infaillibilité, etc.), siècle qui ne se limitait donc pas aux seuls cas de conscience disputés dans les salons parisiens ! Notre région est marquée par les apparitions à la Salette.

En 1886, la loi militaire oblige les séminaristes à accomplir dorénavant leur service militaire ; les premières années du XX° siècle voient le vote de plusieurs lois conduisant à l’abrogation du concordat de 1801 ; les demandes d’autorisation des congrégations sont rejetées pour la plupart. Dans la région, les Chartreux tentent de résister ; ils sont expulsés par la force en 1903, geste qui est douloureusement ressenti par la population bien au-delà de la communauté catholique.

En 1906, le gouvernement, prenant acte du refus des évêques de constituer les associations cultuelles prévues par la loi de 1905, ordonne aux préfets de procéder à l’expulsion des occupants des biens d’Eglise. Grenoble voit ainsi l’expulsion de l’évêque et des autres occupants de l’évêché le 19 décembre 1906 ; le lendemain, c’est le tour du séminaire. Ce denier rouvrira ses portes dès le 18 février 1907 à Meylan dans l’ancien couvent des Capucins (dont le propriétaire est un particulier).

Avec l’application de la loi militaire de 1886, prêtres et séminaristes en âge d’être mobilisés en 1914 se retrouvent pour la plupart dans les tranchées, partageant la vie des autres soldats, et trop souvent la peur, les blessures et la mort. Cette fraternité a profondément marqué les relations avec le clergé dans les années qui ont suivi la première guerre mondiale.

Pendant les hostilités, une partie des locaux du séminaire (ancien couvent des Capucins) est transformée en hôpital militaire. Dès 1913, des travaux de construction d’un nouveau séminaire mieux adapté aux besoins avaient été entrepris chemin de la Carronnerie à Meylan (locaux actuels du CTM), mais, interrompus par les événements, ils n’ont été achevés qu’en 1925.

Jusqu’au Concile

L’entre deux guerres est marqué par une certaine stabilité dans le statut de l’Eglise en France, ce qui ne doit pas cacher le bouillonnement interne (condamnation de l’Action Française, création de la JOC, évolution de l’Action catholique, les Semaines sociales, etc.).

La période de la guerre de 1939, de l’occupation, de la résistance, du STO, a été difficile pour les jeunes du séminaire et pour leurs enseignants, d’autant plus que les directives de la hiérarchie étaient hésitantes, voire contradictoires. Dans la région, il convient de signaler en particulier l’Ecole des Cadres à Uriage avant sa dissolution en décembre 1942 et les tragiques événements du Vercors en juillet et août 1944.

L’après guerre voit dans l’Eglise le développement de la Mission de France, de la notion de présence au monde, la création de l’ACO ou du Mouvement Familial Rural, la crise de la JEC, la condamnation de théologiens (entre autres de Lubac, Congar, Chenu), l’affaire des prêtres-ouvriers, l’œcuménisme, l’affaire Finaly, etc.

Un autre sujet de débat a été la guerre d’Algérie (1954-1962) : "Les problèmes de l’objection de conscience et de la torture, de l’obéissance aux autorités et du soutien à une cause juste se sont posés de façon concrète aux séminaristes" témoigne Albert Rey qui était alors professeur de Droit canonique, d’Apologétique et de Morale au séminaire.

En janvier 1959, trois mois après son élection, Jean XXIII, un pape âgé dont on n’attendait pas grand-chose, crée la stupéfaction en annonçant la tenue d’un concile. Celui-ci s’ouvre en octobre 1962 sur un coup d’éclat du cardinal Liénart invitant la Suprême Congrégation à ranger ses papiers… Les évêques et les cardinaux résidentiels étaient bien décidés à se faire entendre et à ne pas se contenter d’approuver des décisions prises dans les organismes centraux. Les sujets abordés au cours de Vatican II et les textes votés sont multiples (liturgie, œcuménisme, l’Eglise dans le monde de ce temps, liberté religieuse, relations avec les religions non chrétiennes et la religion juive en particulier, Révélation, formation et vie des prêtres, etc.).

La seconde moitié des années 60 a été marquée à Grenoble par les Jeux Olympiques d’Hiver de 1968, et en France par les événements de mai 1968.

Il serait réducteur, conclut le Père A. Rey, de dire que la chute du nombre des vocations sacerdotales est due à Vatican II et à mai 1968. Disons plutôt que ce sont les mêmes causes, dont l’origine remonte au moins aux tranchées de la guerre de 14, qui ont provoqué la chute des vocations et qui ont conduit d’un côté à la nécessité d’un aggiornamento dans l’Eglise, d’un autre côté aux réactions explosives de la jeunesse.